Gina Bianchi

Arts plastiques - La démarche de Gina Bianchi

Architecte et docteure en urbanisme de formation, Gina Bianchi a longtemps travaillé au Mexique et en Bolivie, et y a fait de nombreux séjours entre 1983 et 1995. Elle y a été fascinée par les textiles traditionnels par les artistes latinos… Elle a toujours dessiné. C’est donc tout naturellement qu’elle s’engage dans une pratique textile, technique et matériau qui lui paraissent actuellement les plus adéquats à sa recherche.

Depuis 1999, elle fabrique des "oeuvres textiles" à partir de tissus, broderies et rajouts divers comme la charpie ou les marques de nom... Elle récupère toutes sortes de déchets textiles depuis le vieux bouton isolé, la chute de tissu jusqu'aux vieux vêtements élimés et le filet d'oignons... Elle développe également une pratique théâtrale qui va de pair avec celle d'art plastique: C'est toujours la recherche, l'enquête vers la féminitude, l'identité et l'altérité qui guident ces deux démarches.

Ecoutons-la s'exprimer sur son approche artistique :

Rechercher l'organique, le vivant dans la matière textile qui se noue, se compose, se décompose, se délite, se défait pour mieux se retisser.

Jouer avec la réalité, la déformer, la rouler, la tordre. Redessiner de l'humain et de l'animal, essayer de n'en retirer que la vie, dégagée de ses oripeaux. Et tout ça pour mieux en rire. L'art doit être ironique et drôle pour toucher l'âme. Alors il s'ébat dans les formes et les matières, dans les couleurs et les reflets comme un petit chien joueur. Si un peu de vérité en surgit, alors c'est que le jeu a été bon.

Retrouver et redessiner la quintessence de la féminité, et même "la féminitude", dans le textile. Matière humble et utilitaire le textile envahit tout, habite tout. Serpillière, vêtement, linceul, lingerie érotique, ou drapeau... et n'oublions pas le tristement célèbre Chadri afghan. Et la femme en est souvent le porte-drapeau, l'utilisatrice et la créatrice à la fois.

Je voudrais aller à la rencontre de la femme traditionnelle coulée, murée dans son univers de tâches ménagères obscures, et qui s'échappe en recherchant la folie, en dévoyant les matériaux et les matériels qui sont son environnement habituel.

Retourner à l'art à partir d'un univers de "petits gestes" et de "petits matériaux" de base. Retrouver un langage personnel et textile tout comme les Dogons qui associent parole et textile. Dans la langue dogon "être nu" ou "être muet" se dit de la même façon.

En allant à la rencontre des femmes dites traditionnelles, il s'agit bien sûr de me rencontrer moi-même, de me rencontrer en temps qu'être humain "autre". Je cherche à mener l'enquête de façon non cartésienne, sur l'altérité féminine, sur la féminitude. Une recherche textile dont les outils seraient la trame, la broderie, le déchirement, la couture. Broderie, couture, destruction, transformations... Les textiles deviennent une métaphore nous permettant d'appréhender le reflet de la création, son passé et sa genèse.

Tout ce qui touche à la féminité physique est connu, montré et remontré... croit-on. Et pourtant parler de l'attribut textile le plus intime des femmes, c'est à dire le tampon ou la serviette hygiénique, n'est pas si fréquent.

Même les publicités tournent autour du sujet en parlant de "sécurité féminine"! (Sic). Pourtant c'est là que commence l'humanité, les règles étant le signe physique de la fertilité et donc de la possibilité de reproduction du genre humain, non?

Alors les tampons et serviettes sont, entre autres, des matériaux de sculpture textile qui conviennent parfaitement à ma recherche sur la féminitude. Mais toutes mes bonnes intentions sont parfois emportées, dérivées au fil du travail.

Dans la langue des Dogons, le mot sawab désigne à la fois le tissu et le verbe, et en même temps l'action s'incarnant ... D'une femme nue, par exemple, on dit qu'elle est muette. Vous même en arabe la correspondance des lettres entre haki, la parole et Hâik, le tirsserand!

Le tisserand est celui qui fabrique la parole, et l'homme se vêt de son verbe.

Gina Bianchi